Il était une fois Pixar
Arnaud Bordas
Le vieux Carl, le petit Russell, le chien et une maison volante sont les héros du dernier-né des studios Pixar. Crédits photo : (Disney/Pixar/All rights reserv)
Présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes, «Là-haut» est la nouvelle merveille Pixar-Disney. Reportage et enquête sur le studio qui, en quinze ans, a révolutionné l'animation sur grand écran.
Bienvenue chez Pixar. Nous sommes à Emeryville, en Californie, à deux pas de San Francisco et de la Silicon Valley. Dès l'entrée du célèbre studio d'animation, le ton est donné : muni d'un badge visiteur sur lequel l'un des petits extraterrestres rigolos de Toy Story nous présente comme «un étranger venu d'ailleurs», nous pénétrons dans le saint des saints du dessin animé moderne, le seul endroit où souffle encore l'esprit de Walt Disney, de Tex Avery et de Chuck Jones, et le lieu qui a vu naître 1001 Pattes, Le Monde de Némo, Ratatouille ou Wall-E. Au bout d'une allée bordée d'arbres, juste en face d'une reproduction géante de Luxo Jr. - la petite lampe de bureau devenue la mascotte du studio -, nous débouchons sur le bâtiment principal, un grand rectangle de verre couché dans lequel s'activent plus de 1 000 personnes. Dans le hall d'entrée, spacieux et lumineux, les employés prennent leur petit déjeuner. Au milieu d'eux, John Lasseter, le directeur artistique des lieux, réalisateur de Toy Story et de Cars, boit son café en compagnie de son assistante. Un animateur, en pantacourt et en tongs, passe, un grand bol de céréales au chocolat à la main. Tout l'esprit Pixar est résumé là, mélange de décontraction et de concentration : dans quelques minutes, tout le monde aura rejoint l'étage supérieur, où bureaux et ateliers composent le cœur créatif de Pixar, là où le travail et la passion règnent en maîtres.
Sur les murs, une multitude de dessins, de peintures, de story-boards et de sculptures attestent du travail acharné et virtuose des gens qui peuplent les lieux. Après la salle de musculation et le bureau de John Lasseter, on accède à « la ferme de rendu », le poumon technologique du studio. Des centaines de serveurs informatiques y calculent nuit et jour le rendu des images de synthèse. Au fur et à mesure de la visite, on se dit qu'en plus de produire les plus beaux dessins animés actuels et d'enchaîner les succès planétaires, Pixar a réussi à développer une culture d'entreprise à nulle autre pareille, où l'excellence découle directement du confort (matériel et psychologique) des employés, du dernier stagiaire jusqu'au patron. Et de leur passion.
Matthieu Cassagne, un jeune infographiste français de 32 ans, originaire d'Aix-en-Provence, œuvre chez Pixar comme éclairagiste. Pour lui, travailler ici, c'est presque le paradis : «La liberté créative et la foi dans le talent des gens sont les valeurs qui guident Pixar. Même dans les coups de feu et les périodes de grand rendement, il n'y a jamais de mauvaise pression, de rapports de force ou de non-dits. La règle qui prévaut ici, c'est: "Ton travail parle pour toi."» Pixar, l'entreprise idéale ? Et pourtant, tout ne s'est pas fait en un jour.
L'alliance de la technologie, de l'art et de l'argent
Petit retour en arrière en compagnie du président des studios d'animation Walt Disney et Pixar, Ed Catmull, qui nous reçoit dans son bureau. Nous sommes au début des années 70 et Catmull est professeur d'infographie au prestigieux New York Institute of Technology (NYIT). Il raconte : «Enfant, j'étais tellement fasciné par les dessins animés de Disney que je voulais devenir animateur. Mais j'ai dû m'orienter vers les sciences. Quand je suis arrivé à l'université et que j'ai commencé à m'intéresser à l'infographie, j'ai réalisé que je pouvais accéder à ma passion première, le dessin animé, en utilisant cette dernière. On était en 1971, et j'ai donc commencé à utiliser mes recherches pour représenter des formes à l'aide d'ordinateurs en rêvant de faire un film entièrement animé par ordinateur. » Quand Catmull énonce ce souhait, la plupart des gens qui l'entourent éclatent de rire tant l'image de synthèse en est alors à ses balbutiements. Heureusement, en 1979, George Lucas, le père de La Guerre des étoiles, vient chercher Catmull et ses associés du NYIT et les intègre à la division informatique de son entreprise, Lucasfilm. Pendant plusieurs années, Catmull y conçoit des effets spéciaux étonnants et invente des logiciels qui vont révolutionner le métier, sans jamais perdre de vue son rêve initial. Jusqu'au jour où, en 1986, Lucas revend sa division informatique, pour 10 millions de dollars, au milliardaire Steve Jobs, cofondateur d'Apple. Catmull le scientifique visionnaire et Jobs le businessman au flair légendaire veulent se spécialiser dans la création de films en images de synthèse. Pour ce faire, ils doivent trouver un troisième homme, capable d'assurer la partie artistique du projet : ce sera John Lasseter, brillant animateur licencié de chez Walt Disney.
Gouverné par ce triumvirat parfait, marquant l'alliance de la technologie, de l'art et de l'argent, Pixar est né. Enchaînant publicités et courts-métrages, le studio finit par s'atteler à Toy Story, le premier long-métrage entièrement réalisé par ordinateur. Un accord de distribution est signé avec le studio Walt Disney, et le film sort en salles fin 1995 : c'est le premier succès mondial de Pixar. Satisfait, Catmull conclut : «J'ai donc rêvé d'un long-métrage d'animation entièrement conçu par ordinateur en 1975, on a mis dix ans pour développer la technologie nécessaire à ce défi et dix ans de plus pour le concrétiser. Mais on l'a fait!»
L'ascension de Pixar se poursuit. 1 001 Pattes, Toy Story 2, Monstres &Cie, Le Monde de Némo, Les Indestructibles et Cars, triomphes publics et critiques, achèvent d'imposer la patte Pixar en même temps qu'ils permettent à Disney d'engranger de confortables bénéfices. Mais, peu à peu, le torchon brûle avec le patron de Disney de l'époque, Michael Eisner, homme d'affaires froid et calculateur qui étouffe Pixar sous les contraintes.
Avec Disney, l'indépendance dans l'interdépendance
En 2005, Steve Jobs annonce que le studio d'Emeryville va prendre son envol et se séparer de Disney juste après la sortie de Cars. In extremis, une fronde des actionnaires de Disney, menée par Roy Disney, le neveu de Walt, obtient la démission d'Eisner. A l'issue des négociations, Pixar, jusque-là lié à Disney par un contrat de distribution, est racheté par le studio aux grandes oreilles pour 7,4 milliards de dollars. Eisner écarté, Pixar obtient tout ce qu'il souhaitait, notamment le contrôle sur ses créations et la récupération de la majorité des bénéfices. Mieux : Steve Jobs devient le principal actionnaire de Disney, tandis que Catmull et Lasseter deviennent respectivement le président et le directeur artistique de Pixar ET des studios d'animation Walt Disney.
Immédiatement, les trois mousquetaires prennent des mesures énergiques. Ils rouvrent le département « animation traditionnelle » de chez Disney, fermé par Eisner, et stoppent net la production de produits bas de gamme foulant au pied l'héritage prestigieux de Walt Disney (Peter Pan 2, Cendrillon 2, etc.). Et Pixar ? Selon Pete Docter, le studio y a gagné en indépendance : «Le fait que Disney et Pixar ne fassent plus qu'un aujourd'hui et que John Lasseter soit devenu la tête créative de Disney nous a grandement facilité la tâche. Avant, nous devions rendre des comptes à des gens avec qui nous ne travaillions pas. Aujourd'hui, sur un film comme Là-haut, j'ai pu travailler tranquillement avec mon équipe, puis en discuter avec John et les autres réalisateurs de chez Pixar, mais c'est tout. Il n'y a pas d'autres niveaux hiérarchiques à gérer.»
Bref, Disney a racheté Pixar, mais c'est bien Pixar qui tient les commandes et préserve l'âme de la maison de Mickey. Plus que jamais, la devise de Buzz l'Eclair dans Toy Story s'applique aussi au studio de Lasseter, Catmull et Jobs : «Vers l'infini, et au-delà!»
En salles le 29 juillet.
et voila en éspérant que s'est bien de sa qu'on parle !